De Croo ou le « Big Data » pour un monde meilleur

L’Assemblée générale des Nations unies est aussi l’occasion d’une multitude d’« événements parallèles ». Les émissaires du gouvernement belge n’en perdent pas une miette.
C’est définitivement son « dada » : le « Big Data » au service de l’aide humanitaire et au développement, secteurs privé et public, main dans la main. Le vice-Premier ministre libéral Alexander De Croo n’est pas pour rien à la fois ministre de la Coopération au développement et de l’Agenda numérique et des Télécommunications et de la Poste ! « Un modeste portefeuille » , sourit ce jeudi Michael Kuperberg, un officiel de la Maison-Blanche, chargé de présenter Alexander De « Croûûû ». Le ministre est invité à rendre la parole à l’un de ces innombrables « événements parallèles », qui émaillent l’Assemblée générale de l’ONU à New York.
Nous sommes au 11 e étage de la Fondation Ford, l’une des principales fondations privées américaines. Thème du jour : « Renforcer la révolution digitale pour la résilience (au changement) climatique » . La Nasa, Amazon, Google et d’autres représentants du secteur privé sont de la partie. Des officiels kenyan, allemand, mexicain, du Bangladesh, de la Banque mondiale ou de la Coopération américaine (Usaid) également.
« Face au changement climatique, la technologie doit définitivement jouer un rôle », assure le ministre à un public conquis à la cause. Et la numérisation d’une foule astronomique de données (les « méga-données »), leur collecte et analyse, puis leur partage avec les institutions et les citoyens, est capitale « pour permettre des actions », enchaîne De Croo. Qui précise à son audience qu’il n’est pas fan de l’expression « Big Data » à cause de sa « connotation Big Brother et des craintes pour le respect pour la vie privée. C’est peut- être une vision européenne... », s’excuse-t-il, auprès de ce public largement américain.
Sur son site internet, IBM expose la chose – et le business : « Chaque jour, nous générons 2,5 trillions d’octets de données. Ces données proviennent de partout : de capteurs utilisés pour collecter les informations climatiques, de messages sur les sites de médias sociaux, d’images numériques et de vidéos publiées en ligne, d’enregistrements transactionnels d’achats en ligne et de signaux GPS de téléphones mobiles. » Etc. La plupart des données sont collectées et possédées par les entreprises privées. Frank Fass-Metz, un officiel ministère allemand pour la Coopération économique, avertit : il faut tenir compte de « qui possède les données et promouvoir leur libre accès. Et cela ne suffit pas : il faut pouvoir les analyser ».
De Croo a lancé une croisade depuis son arrivée à la tête du département de la Coopération. Ses fonctionnaires sont désormais priés de faire référence à l’utilisation de ces « données » dans chacune de leurs interventions. Pour le personnel, cela a représenté « un choc culturel », reconnaît le ministre.
Mais ce serait désormais entré dans les mœurs de son administration. En tout cas, le gouvernement est pleinement engagé dans la démarche. La Belgique, emportée par l’enthousiasme du jeune ministre (40 ans), a signé hier une « déclaration conjointe » qui invite à mettre cette révolution digitale au service de la lutte contre les effets du réchauffement. Treize autres pays sont signataires, avec les géants de l’informatique et de l’internet.
Avec les technologies de l’information, la mondialisation est entrée dans sa « vraie » phase, juge le ministre : ce n’est plus seulement une affaire « produite et consommée » par le monde occidental. C’est au Nigeria et au Kenya que l’on effectue déjà le plus de paiements par téléphones mobiles, observe-t-il. Le sous-secrétaire mexicain à l’Environnement enchaîne : « On a besoin de ces masses de données pour traquer les ouragans et sauver des vies. » Une carte des risques développée avec Google a été vue par
80 millions de personnes en 4 jours, ajoute Rodolfo Lacy Tamayo. Et « sous peu », les Mexicains devraient bénéficier d’un système d’alerte précoce sur téléphone portable. Grâce aux images de la Nasa, le Kenya « a la possibilité de réhabiliter 5,1 millions d’hectares de terres » , indique pour sa part la ministre de l’Environnement Judi Wakhungu. « La numérisation est au cœur de notre politique de développement », reprend le ministre belge. Au Burkina Faso, avec le Fonds de l’ONU pour les populations, la Coopération belge – qui concentre ses moyens rabotés aux pays les plus pauvres – développe un programme d’information des jeunes filles contre les mariages précoces, via les médias sociaux ou SMS. Au Ghana, la population est interrogée par téléphone sur l’état des infrastructures.
Dans l’après-midi, le ministre coprésidait avec l’OIM et le ministre malien des Affaires étrangères Diop un autre pow-wow : « Big Data for Migrations » . Pour « mieux comprendre leur histoire, leurs besoins, et quand ils sont fixés, mieux gérer leur intégration , nous dit De Croo. Les données sont aujourd’hui très fragmentées, c’est toujours le chaos, incomplet, difficile à utiliser. Et donc le potentiel est grand ! », conclut cet ex du Boston Consulting Group, titulaire d’un MBA aux USA. Ce n’est donc qu’un début : mercredi, la Belgique a rejoint une « Alliance mondiale » de pays, entreprises privées et ONG pour « l’amélioration de l’accessibilité, de la qualité et de l’analyse des données ».